a
responsabilité est l’obligation de réparer le préjudice
résultant soit de l’inexécution d’un contrat (responsabilité
contractuelle : Art. 1147 C.Civ), soit de la violation du devoir
général de ne causer aucun dommage à autrui
par son fait personnel (Art. 1382 C.Civ), ou du fait des choses
dont on a la garde, ou du fait des personnes dont on répond
(Art. 1384 C.Civ) ; lorsque la responsabilité n’est pas
contractuelle, elle est dite délictuelle. Quand et qu’elle
résulte d’un contrat, elle est dite contractuelle.
Alors
que la responsabilité pénale vise à sanctionner
une personne qui commet une infraction, la responsabilité
civile est l’obligation légale qui incombe à une
personne de réparer le dommage causé à
autrui.
L’application
des principes de responsabilité du Code Civil de 1804 ne
se fait pas sans heurts dans le domaine de l’Internet. Le postulat
de la liberté, pilier du réseau des réseaux,
fait fluctuer les positions de l’irresponsabilité à
la responsabilité de principe des acteurs du réseau
(les intermédiaires notamment).
La
jurisprudence a décidé d’opter pour une sensibilisation
des intermédiaires, même passifs, sur leur responsabilité
(cf. affaire Estelle Halliday).
L’enjeu
étant l’indemnisation, le but de la réflexion est
de dégager une hiérarchie des responsabilités,
un peu sous la forme du régime de la presse et de sa responsabilité
en cascade, afin que tout justiciable puisse " trouver " son responsable
sur la toile.
Nous
nous cantonnerons ici à l’internaute, auteur de contenu
informationnel, et à celui qui supporte l’information :
le fournisseur d’hébergement, prestataire technique qui
héberge un site sur son serveur informatique.
En
ce qui concerne Internet, le problème souvent rencontré
est plus technique que juridique : comment identifier à
coup sûr l’auteur du site hébergé sur un site
gratuit tel que Multimania, Ifrance … et une fois identifié,
comment sanctionner l’auteur de messages dommageables qui se trouve
à des milliers de kilomètres ?
A
défaut ou en plus de l’internaute fournisseur de contenu,
pourquoi ne pas responsabiliser celui qui lui fournit cette occasion
de communiquer à travers le monde de façon liberticide
: le fournisseur d’hébergement.
Sanctionner
l’intermédiaire à défaut de l’internaute.
Responsabiliser à raison de la fonction.
"
Mais participer est une chose, être responsable en est une
autre ".
- LA
RESPONSABILITE DU FOURNISSEUR D’HEBERGEMENT : JURISPRUDENCE
Il
y a quelque chose de choquant a priori à se voir dire responsable
sans avoir eu de comportement effectivement critiquable. Au civil,
dans une logique de responsabilité pour faute, ne doit
pas pouvoir voir sa responsabilité engagée celui
qui ne pouvait agir ou qui était dans une situation où
s’abstenir était légitime.
Si
la tendance de bien des intermédiaires est de rechercher
à toute force une position d’irresponsabilité qu’on
ne saurait accepter, on ne peut davantage tolérer une responsabilité
de principe qui serait légitimée par le rôle
technique de ces intervenants.
Reconnaître
la responsabilité des fournisseurs d’hébergement
car ils sont le vecteur de l’information diffusée et permettent
les actes délictueux est une aberration.
Dénier
toute responsabilité aux intermédiaires car ils
n’ont aucun moyen pragmatique de contrôle du contenu est
encore un non sens.
Que
faire ? Il ne faut pas rester dans l’impasse et choisir la voie
de la raison, comme le préconise le professeur VIVANT.
Envisager la responsabilité de l’intermédiaire par
rapport à cette notion, c’est le rendre responsable , mais
aussi l’exonérer de cette responsabilité eu égard
aux situations.
N’est
fautif que celui qui a la possibilité technique d’intervenir,
qui sait qu’il y a matière à intervenir et qui,
pour finir, n’est pas intervenu. C’est là le triptyque
: pouvoir – savoir – inertie.
L’hébergeur
ne verra sa responsabilité engagée qu’à la
triple condition :
- qu’il
ait la faculté technique d’intervenir ;
- qu’il
ait eu connaissance du site critiquable ;
- qu’il
ait choisi de ne rien faire.
Ce
sont des conditions nécessaires mais pas suffisantes. Quand
bien même sa responsabilité pourrait être engagée
sur la base du trinôme, encore faut-il apprécier
si son comportement emporte ou non la critique (il a pu avoir
raison de rester passif).
C’est
bien la solution retenue par la jurisprudence dans l’affaire
Estelle Hallyday. L’arrêt de la Cour d’appel de Paris
en date du 10 février 1999 dans l’affaire Estelle Hallyday
contre Valentin Lacambre (Altern) a tranché dans le sens
de la responsabilisation des fournisseurs d’hébergement.
Le site représentait des photos du mannequin dénudé
mis en ligne sans son autorisation, par une personne hébergée
sur Altern.
L’ordonnance
de référé avait déjà précisé
que " le fournisseur d’hébergement a l’obligation de
veiller à la bonne moralité de celui qu’il héberge,
au respect par eux des lois et des règlements et des droits
des tiers… Il a, comme tout utilisateur de réseau, la possibilité
d’aller vérifier le contenu du site qu’il héberge
et en conséquence de prendre le cas échéant
les mesures de nature à faire cesser le trouble qui aurait
pu être causé à un tiers ".
L’arrêt
de la Cour d’appel confirme et souligne " qu’en offrant,
comme en l’espèce, d’héberger et en hébergeant
de façon anonyme, sur le site Altern.org qu’il a créé
et qu’il gère toute personne qui, sous quelque dénomination
que ce soit, en fait la demande aux fins de mise à disposition
du public ou de catégories de publics, de signes ou de
signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de
toute nature qui n’ont pas le caractère de correspondances
privées, M. Lacambre excède manifestement le rôle
technique d’un simple transmetteur d’informations et doit d’évidence
assumer à l’égard des tiers aux droits desquels
il serait porté atteinte dans de telles circonstances,
les conséquences d’une activité qu’il a, de propos
délibérés, entrepris d’exercer dans les conditions
susvisées et qui contrairement à ce qu’il prétend
est rémunératrice et revêt une ampleur que
lui même revendique ".
L’arrêt
souligne donc bien que l’hébergement est une activité
qui dépasse la simple transmission de données puisque
finalement il participe à la diffusion du site, d’autant
plus si cet hébergement se fait, comme en l’espèce,
de manière anonyme. L’auteur du site n’étant pas
identifiable, il parait logique de se retourner contre celui qui
le supporte (support physique : disque dur).
Il
doit en conséquence supporter la responsabilité
de cette activité (d’autant plus quand elle est rémunératrice).
Il
ne s’agit pas ici de créer une responsabilité de
principe des intermédiaires. Il s’agit d’une responsabilité
pour faute, ou comme en l’espèce d’une violation de l’article
9 du Code Civil (atteinte à la vie privée).
Pour
s’exonérer de cette responsabilité, le fournisseur
d’hébergement devra justifier du respect des obligations
mises à sa charge spécialement quant à l’information
de l’hébergé sur l’obligation de respecter les droits
de la personnalité, le droit d’auteur, de la réalité
des vérifications qu’il aura opérées, au
besoin par des sondages, et des diligences qu’il aura accomplies
dès révélation d’une atteinte aux droits
des tiers pour faire cesser cette atteinte. C'est le trinôme
: devoir – savoir – inertie . L’hébergeur commet une faute
par omission s’il ne vérifie pas le contenu des sites.
Ainsi,
une nouvelle décision est venue refuser la condamnation
d’un hébergeur sur le fondement de la responsabilité
éditoriale définie par la loi du 29 juillet 1982
(responsabilité en cascade). Dans cette affaire, les assurances
Axa, victimes de propos diffamatoires publiés sur
un site, demandait des dommages et intérêts à
l’hébergeur, Infonie. Suite à un rapport
d’expertise, les juges ont constaté qu’Infonie n’avait
aucun contrôle sur le transfert des données effectué
par l’abonné. Le 28 septembre 1999, le Tribunal
de grande instance de Puteaux a donc décidé que
seule la personne ayant procédé à la mise
en ligne du contenu pouvait être tenue pour responsable.
Mais
le 8 décembre 1999, trois fournisseurs d’hébergement
ont été condamnés pour avoir abrité
des photographies d’une ancienne mannequin, Lynda Lacoste.
Le
tribunal rappelle que, contrairement au fournisseur d'accès,
" dont le rôle se limite à assurer le transfert
des données dans l'instantanéité et sans
possibilité de contrôler le contenu de ce qui transite
par son service, le fournisseur d'hébergement effectue
une prestation durable de stockage d'informations que la domiciliation
sur son serveur rend disponibles et accessibles aux personnes
désireuses de les consulter " et qu'il a donc
" la capacité d'y accéder et d'en vérifier
la teneur ".
La
responsabilité de l'hébergeur est ainsi résumée
: il est tenu à une obligation générale de
prudence et de diligence, et il lui appartient de prendre les
précautions nécessaires pour éviter de léser
les droits des tiers.
A
cette fin, il doit mettre en oeuvre des moyens raisonnables d'
information, de vigilance et d' action.
Dans
l'affaire jugée, le fournisseur d'hébergement avait
bien accompli des diligences pour informer clairement les éditeurs
de sites sur le respect du droit des tiers (information)
et avait procédé à la fermeture du site illicite
dès réception de l'assignation de Lynda Lacoste
(action). Mais le tribunal relève qu'en revanche
il avait la faculté, en tant que professionnel, de détecter
les sites présumés illicites, notamment grâce
à des moteurs de recherche (vigilance), et qu'il
ne l'a pas fait.
Dès
lors, cette dernière jurisprudence française impose,
une véritable obligation de surveillance et de censure
préventive à la charge des prestataires.
Le
Tribunal de Grande Instance de Nanterre a rendu une décision
le 31 janvier 2000 ( Trois suisses / Axinet)qui
a encore renforcé cette jurisprudence.
Selon
le Tribunal, la mise en vente aux enchères sur Internet,
de noms de domaine reproduisant des marques notoires ( les-3suisses.com,
la-redoute.net ) constitue un acte de contrefaçon et "révéle
une volonté de parasitisme". Elle engage la responsabilité
du déposant des noms de domaine, celle de l’organisateur
de la vente mais également celle de l’hébergeur
du site sur lequel s’est déroulée la vente litigieuse.
De
même, en Belgique, le tribunal de commerce de Bruxelles
a récemment condamné un hébergeur pour avoir
hébergé deux sites offrant des liens hypertextes
vers des sites permettant le téléchargement de MP3.
Selon ce Tribunal, l’hébergeur en question peut être
considéré comme responsable dès lors qu’il
ne supprime pas les liens alors qu’il a été mis
au courant d’activités suspectes. Il poursuit en affirmant
que les liens en question sont des liens conscients vers des sites
pirates connus. L’hébergeur s’est donc rendu complice
de la mise à disposition du public belge de reproductions
de fichiers de musique. Par conséquent, le Tribunal
en conclut que l’hébergeur cause une exploitation illégale
en Belgique et des actes illégitimes (Tribunal de
commerce de Bruxelles, 2/11/1999).
Est-ce
conforme à l’esprit des différents projets de réglementation
en la matière ?
2
: FAUT-IL LEGIFERER ?
Si
l’application à l’Internet des principes de responsabilité
civile n’est qu’une pure transcription des principes de droit
commun, est-il nécessaire de légiférer ?
L’amendement
Bloche présenté dans le courant de l’année
1999 allait dans le sens ci-dessus évoqué. Il ne
visait que la responsabilité civile des intermédiaires.
Il prévoyait notamment que cette responsabilité
ne pourrait être engagée qu’à deux conditions
non-cumulatives. D’une part, si le fournisseur a lui-même
contribué à la création ou à la reproduction
du contenu préjudiciable; d’autre part, s’il n’a pas, sur
demande d’une autorité judiciaire, agi pour empêcher
l’accès au contenu litigieux. Cet amendement est donc plutôt
favorable aux hébergeurs et à l’absence d’une responsabilité
automatique.
La
deuxième lecture de cet amendement a eu lieu les 21,
22 et 23 mars. Or, les amendements de Patrick Bloche relatifs
à la responsabilité des fournisseurs d'accès
et d'hébergement Internet (FAI et FHI) s'ils limitent quand
même fortement la responsabilité des hébergeurs
en cas d'hébergement de sites web illicites, ont été
remaniés par le gouvernement.
Selon le sous-amendement 385, déposé par la ministre
de la Culture Catherine Trautmann, les hébergeurs ont l'obligation
de transmettre à l'autorité judiciaire les données
sur les auteurs de contenus.
Patrick Bloche a voulu rassurer les hébergeurs en indiquant,
pendant la discussion, que la vérification d'identité
ne relevait pas de leurs responsabilités.
Les internautes auront l'obligation de fournir une identité
et une adresse exacte, faute de quoi ils risquent une amende de
50 000 fr. et /ou 6 mois de prison.
Le
risque de cet amendement, s'il devenait définitif serait
de fournir une base de donnée extrêmement fiable
aux hébergeurs de sites gratuits….
La
proposition de Directive communautaire du 18 novembre 1998,
modifiée le 1er septembre 1999, sur le commerce
électronique traite également cette question de
responsabilité. Elle opte pour l’irresponsabilité
ou la quasi-irresponsabilité des professionnels du transport
et du stockage de données sur les réseaux télématiques.
Elle
pose le principe d’une absence d’obligation générale
de surveillance et de devoir de recherche active des faits illicites
pour les prestataires techniques, sauf sur demande des autorités
judiciaires ( article 15).
Une
distinction est faite selon que le stockage est permanent, temporaire
ou transitoire.
L’article
14 institue une limite de responsabilité en ce qui
concerne l’activité de stockage permanent des informations
fournies par les destinataires du service. L’exonération
n’est envisageable que si le fournisseur d’hébergement
n’a pas connaissance du caractère illicite de l’activité
de la personne hébergée, et, en ce qui concerne
une action en dommage, s’il n’a pas connaissance de faits ou de
circonstances selon lesquels l’activité illicite est apparente.
Il reste exonéré si, dès qu’il en a eu connaissance,
a agit promptement pour retirer les informations ou les rendre
inaccessibles.
Quant
au projet de loi français sur la société
de l’information, il opère une " distinction entre
l’éditeur du service, qui doit être responsable de
l’information mise à la disposition du public, et le prestataire
technique qui n’est pas en mesure de contrôler systématiquement
l’information qu’il n’aura pas élaborée. Les simples
intermédiaires techniques ne devront pas voir leur responsabilité
engagée en cascade ".
De
plus, il en ressort que " le Gouvernement est favorable à
l’instauration d’un régime de responsabilité tenant
compte des rôles spécifiques des différents
types d’intermédiaires techniques sur l’internet ".
Et il distingue également " entre les opérateurs
de transport qui, dans la continuité du droit des télécommunications,
n’ont pas à connaître les contenus qu’ils transportent,
et les opérateurs d’hébergement ".
Enfin,
ce projet souhaite que la responsabilité pénale
ou civile des intermédiaires d’hébergement puisse
être engagée " s’ils n’ont pas accompli les diligences
appropriées, dans le cas d’une intervention de l’autorité
judiciaire mais aussi dès qu’ils auront été
dûment informés d’un contenu présumé
illicite ou portant atteinte aux droits d’autrui ".
Conclusion
:
L’Internet
n’échappe pas à la tendance à la multiplication
des responsables afin que la victime puisse obtenir réparation.
On en vient à imposer, comme dans le cadre de la législation
de la consommation, un devoir de vigilance du professionnel pour
décharger l’internaute (profane !). C’est à penser
que l’Internet devient un outil de grande consommation, mais il
faut garder à l'esprit que la notion de diffusion d’informations
implique une responsabilité civique et que moralement,
le " cyber-citoyen " doit prendre et assumer les décisions
qui l’engagent.
Murielle-Isabelle CAHEN
Note De La Rédaction :
Afin de compléter cet article, vous lirez avec intérêt :
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