a cour d’appel de Paris a rendu le 10 février 1999 un arrêt d’une importance capitale. Elle a jugé que les hébergeurs de pages web anonymes sont responsables du contenu de ces pages et doivent assumer les conséquences de leur activité à l’égard des tiers aux droits desquels il serait porté atteinte du fait de ces pages.
Le propriétaire du domaine altern.org a été condamné à verser la somme provisionnelle de
300 000 F de dommages-intérêts à Estelle Halliday, pour avoir hébergé un site qui diffusait, sans son autorisation, des photographies de nu qui portaient atteinte au droit à l'image du mannequin et à sa vie privée. Le montant de la condamnation fixé équivaut à celui retenu lorsque ces infractions sont commises par voie de presse.
Les juges ont refusé d'admettre que le rôle de l'hébergeur se limitait à celui d'un intervenant technique, simple transmetteur d'informations.
Cette décision confirme l'intérêt majeur de la déclaration des sites web au Procureur de la République et au Conseil supérieur de l'audiovisuel : si cela avait été fait en l'espèce, et que l'hébergeur de site s'était entouré d'un minimum de précautions (avertissement de chaque propriétaire de site de ses devoirs, cet hébergeur n'aurait peut-être pas été condamné, le "propriétaire" du site l'aurait peut-être été.
La responsabilité de l'hébergeur de site, en tant que telle, ne devrait pas pouvoir être reconnue sans l’existence d'un débat au fond (c'est à dire que l'hébergeur n'est pas le responsable systématique, comme le serait un directeur de publication), "à raison des causes d'exonération susceptibles d'être invoquées".
Ces causes d'exonération, ou plutôt les causes de responsabilité, sont constantes en jurisprudence et mettent d'accord beaucoup d'auteurs, globalement et jusqu'à présent : pour être responsable l'hébergeur doit avoir eu connaissance des données litigieuses, avoir eu les moyens de les éliminer, et s'en être abstenu.
En l'espèce, la Cour avait estimé que l'hébergeur était responsable car il avait pris la responsabilité d'héberger de façon anonyme toute personne voulant faire ce qui vient d'être qualifié concrêtement de communication audiovisuelle, qu'il en a fixé les conditions, qu'il en atiré des profits : il devait en assumer les conséquences.
Il devait donc veiller personnellement à ce que la loi soit respectée en terme de contenu, puisqu'il ne l'avait rien exigé de la part de ses "clients", ni en ce qui concerne le contenu de leur site, ni en ce qui concerne leur responsabilité officielle relative à leur site (déclaration). Il est considèré implicitement comme un directeur de publication., puisqu'il s'est comporté comme tel au lieu de renvoyer chacun à ses responsabilités.
Cette décision a semblé assez dure car on a l'impression que l'hébergeur est responsable du contenu de tous les sites hébérgés .De plus la cour n'a pas retenu qu'il avait pu extraire de son site les images litigieuses. Cette extraction ne prouve pas la maîtrise sur le contenu, cette maîtrise exigeant que toute l'information soit vérifiable par l'hébergeur tous les jours .
Néanmoins on peut s'interroger sur le fait qu'il semble y avoir eu de la part des juges français une ignorance des tendances internationales actuelles sur le sujet.
En effet, le Digital millenium act américain et la proposition de directive sur le commerce électronique du 18 novembre 1998 prévoient tous les deux une éxonération de responsabilité pour les hébergeurs sous deux conditions :
- qu'il n'ait pas été au courant de l'activité illicite
- et qu'il ait pris toutes les mesures nécessaires dès connaissance de
celle-ci. Le texte américain prévoit d'ailleurs que l'hébergeur doit désigner une personne précise pour recevoir de telles notifications.
La société de l'information implique de raisonner avec un minimum d'ouverture car il n'existe pas de frontières sur le réseau.
Le 8 décembre 1999, le Tribunal de Grande Instance de Nanterre a rendu un jugement assez déconcertant sur la responsabilité des hébergeurs de pages web à contre courant du mouvement militant pour une exonération de responsabilités des hébergeurs et ou j'étais l'avocat d'un des ghébergeurs incriminés.
Dans cette affaire, un mannequin Lydia Lacoste avait retrouvé ses photos, où elle apparaissait dénudée, sur plusieurs sites web, dont l'un d'eux était hébergé par Multimania, d'autres par la société Estérel et la société France Cybermédia. Elle réclamait à l'ensemble des hébergeurs une somme supérieure à un million de francs à titre de dommages et intérêts.
Le Tribunal a rappelé que "toute personne a sur son image et l'utilisation qui en est faite un droit absolu qui lui permet de s'opposer à sa fixation, sa reproduction et sa diffusion, sans autorisation expresse de ce indépendamment du support utilisé". Mais il ajoute que "le fournisseur d'hébergement est tenu d'une obligation générale de prudence et de diligence. Il lui appartient de prendre les précautions nécessaires pour éviter de léser les droits des tiers et il doit mettre en ouvre à cette fin des moyens raisonnables d'information, de vigilance et d'action" ce qui est en totale contradiction avec l'article 15 de la directive relative au commerce électronique relatif à l'absence d'obligation des hébergeurs en matière de surveillance "des informations qu'ils transmettent ou qu'ils stockent".
De plus, l'attitude des hébergeurs étaient-elles réellement critiquable quand l'article 14 de la même directive relatif à l'hébergement dispose que « la responsabilité du prestataire ne peut, sauf dans le cadre d 'une action en cessation, être engagée pour les informations stockées à la demande d 'un destinataire du service à condition que : -le prestataire n 'a pas effectivement connaissance que l 'activité est illicite., ou -le prestataire, dès le moment où il a de telles connaissances, agisse promptement pour retirer les informations ou rendre l'accès à celle-ci impossible »
Le tribunal a posé le postulat suivant lequel "les sites présumés illicites sont aisément détectables par le moyen d'un moteur de recherches basé sur des mots clés d'un nombre réduit évoquant l'univers de la nudité, la beauté, la célébrité, la féminité".
Selon le tribunal, "il apparaît qu'un système de détection peut facilement être réalisé sur le plan technique par la mise en ouvre sur chaque serveur d'un moteur de recherches interne basé sur des mots clés adaptables à chaque situation concrète".
Internet a été conçu pour être justement incontrôlable en cas de guerre nucléaire ? Et que de plus, il apparait techniquement impossible, de mettre en place un tel système ? Les juges onts emblé oublié la nature changeante d'Internet qui est justement sa spécificité. Les juges ont semblé croire qu'il suffisait d'une recherche d'une heure seulemnt sur des moteurs de recherches pour pouvoir détecter de tels changements, ce qui est impossible !
Finalement, le Tribunal a condamné les hébergeurs à payer au mannequin une somme d'environ 220 000 francs de dommages et intérêts. Le Tribunal a appliqué le calcul simple 10 000 francs de dommages et intérêts par photo litigieuse hébergée.
Comment les professionnels de l'hébergement peuvent-ils comprendre cette décision ? Le Tribunal n'a pas voulu tenir compte des orientations législatives françaises ou européennes en la matière, à la fois jurisprudentiel - décision du 28 septembre 1999 du Tribunal d'instance de Puteaux - et européen ( amendement Bloche voté en 1ère lecture par l'assemblée nationale le 27 mai 1999 , vote de la directive européenne sur le commerce électronique du 9 décembre 1999).
Il a préféré plutôt fondée sa décision sur un précédent, l'affaire Altern et sur l'état actuel du droit positif en affirmant que "les professionnels ont largement été sensibilisées par les développements médiatiques consacrées début 1999 à l'affaire Estelle HALLIDAY c/ V. LACAMBRE.".
Plutôt que d'appliquer des règles en cours d'élaboration réellement adaptées à Internet, le Tribunal s'est obstiné à appliquer les règles classiques de l' imprudence ou négligence.
Vous apprendrez dans les dossiers suivants comment protéger votre site.
Murielle-Isabelle CAHEN
Note De La Rédaction :
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