Expérience Linux
Guy Capra - 06/08/99

e suis consultant informatique indépendant, spécialisé dans la problématique des petites entreprises. J’insiste sur ce point : mon métier n’est pas d’être informaticien. Au contraire, je dirais qu’il consiste à trouver ou construire des solutions qui s’éloignent autant que faire se peut du monde dit informaticien pour s’adresser directement à l’utilisateur, dans son vocabulaire, avec ses habitudes. Et ses exigences.

Bon, maintenant que vous savez tout sur moi, nous pouvons commencer.

Si vous lisez ces lignes, il en est deux raisons principales :

  1. vous êtes linuxiens confirmés et vous voulez vérifier si je ne dis pas trop de bêtises. Dans ce cas, bienvenue, merci de me corriger si je raconte n’importe quoi, merci de le faire avec tact et délicatesse, et merci de vous intéresser à mon propos. Enfin, merci, quoi !
  2. vous êtes curieux, macintoshien, ou windowsien, ou autresystemien, ou quoi que ce soit d’autre mais vous voulez connaître une expérience pas-à-pas d’installation Linux, et savoir si "c’est bien" ou "c’est pas bien".
  3. je sais, j’ai parlé de deux raisons, mais je suppose qu’il en existe au moins une troisième à laquelle je n’ai pas pensé, vu qu’à mon avis il existe autant de motivations que d’êtres humains, et qu’il y a au moins trois personnes qui ont lu ceci (votre serviteur, son correcteur, et vous-même). Dans ce cas, vous pouvez remplir ce troisième paragraphe au crayon à papier (pour pouvoir le gommer ensuite, quand vous changerez d’écran).

Si vous êtes encore là, c’est que vous comprenez qu’on peut avoir de l’humour tout en faisant les choses sérieusement. Bienvenue au club. Je peux donc vous parler de mes principales motivations.

N’en déplaise à certains intégristes d’une façon de voir les choses ou de son contraire, je suis certainement un passionné, mais aussi un pragmatique. Je suis persuadé qu’aucune idée, aussi magnifique soit-elle, ne peut être vérifiée et vécue sans un minimum de réalisme dans son application.

Je m’intéresse à l’esprit du logiciel libre depuis des années, un esprit qui me correspond bien au niveau de l’éthique, sans avoir pu trouver aucune "église" assez réaliste pour pouvoir permettre l’élaboration de cet esprit de travail et d’échange à mon niveau de consultant indépendant.

Si certaines philosophies sont parfaitement applicables à des mondes de fonctionnaires (ceci n’est pas péjoratif !) ou encore de chercheurs universitaires comme la vague GNU, si certaines autres tendances sont applicables également aux marchés libéraux comme les dernières tendances de "l’OpenSource" (qui semble commencer à montrer de sérieuses dissensions à l’encontre de GNU), toutes sont inapplicables au niveau de la petite entreprise indépendante qui ne doit sa pitance qu’à la confiance et la fidélité de ses propres clients, et à sa rémunération directe. Je me sens donc un peu en dehors de ces polémiques, mais cependant cette vague générale qui tend à libérer l’utilisateur final de la prise en otage que constitue le fait de travailler sur des logiciels propriétaires me convient tout à fait.

Depuis plusieurs années, en tant que développeur indépendant, j’ai toujours livré tous mes sources à mes clients, sous licence exclusive, avec un argument pragmatique premier degré qui dit à peu près ceci : "si en sortant de chez vous je me fais écraser par un camion, vous ne serez pas prisonnier de ma technologie car n’importe quel autre développeur pourra intervenir pour vous à ma place."

Donc, il était normal pour moi de m’intéresser aux possibilités de Linux pour ma clientèle. Seulement voilà : pendant longtemps, il faut avouer que si Linux a toujours été un système admirable, il ne représentait pas une alternative crédible face aux arguments de mes clients utilisateurs de PC et autres Macintoshes.

En effet, les premières raisons d’exploitation de systèmes ne sont pas dans ces cas des raisons techniques, mais souvent financières, et encore plus souvent le besoin de standardisation : mon fournisseur a un PC, alors je dois avoir un PC pour pouvoir travailler avec lui ! Je suis imprimeur, alors il me faut du Macintosh pour mon travail graphique et du PC pour ma gestion. Si face à de tels arguments la pédagogie reste possible, elle est affaire de temps...

Mais justement depuis quelques temps, la presse parle de Linux au point que tous les utilisateurs d’informatique ont entendu parler de ce système, qui de ce fait ne se trouve plus marginalisé mais appartient à la culture informatique commune. En plus, "tout le monde dit" que c’est plus, mieux, et encore meilleur que Windows...

C’est donc - ouf, on en arrive enfin au sujet de ce texte - dans un esprit d’ouverture et de simplicité que je veux maintenant tester la distribution qui semble le mieux adaptée à offrir une alternative aux systèmes d’exploitation propriétaires installés sur les micro-ordinateurs communs, sans parti pris.

Comme pour toutes mes démarches de test, je rentre dans la peau d’un béotien totalement étranger au monde informatique professionnel, lit quelques magazines PC pour me faire une idée de ce qui est proposé, et commande le produit qui me semble le mieux adapté à ce que je cherche.

"Totalement étranger au monde informatique professionnel" ne veut pas dire "imbécile" mais plutôt "intéressé uniquement par l’utilisation ciblée d’un micro-ordinateur et qui considère normal qu’un bouton fasse ce qu’il propose de faire quand on clique dessus et qui trouve normal d’utiliser la souris parce que c’est plus pratique mais qui comprend quand même qu’il faille brancher l’ordinateur sur le secteur électrique pour l’alimenter, si celui-ci n’a pas de batteries".

Manifestement, j’ai lu et entendu que la distribution la mieux adaptée à du travail bureautique, pour un nouveau venu dans le monde Linux, c’est la distribution Mandrake, parce qu’en plus d’un système Linux "RedHat" - qui semble être le plus répandu chez les débutants Linuxiens – elle propose aussi l’installation déjà configurée d’un interface graphique qui ressemblerait à Windows (chouette, je vais savoir me servir de Linux tout de suite) ! Bon. Je commande le PowerPack, avec StarOffice et tout et tout. Comme ça, je vais pouvoir utiliser tout ça sans complications et être efficace tout de suite. Parce que mon but, je le rappelle, ce n’est pas d’étudier un système, ni même de le comprendre. Mon but, c’est de l’utiliser – même pas complètement – pour écrire des lettres, gérer mon entreprise, et me servir des possibilités qu’offre maintenant internet. Sans prise de tête. Sans galères. Sans perte de temps...

Je travaille seul avec mon assistante. Nous avons chacun un micro, un Mac et un PC, et nous partageons nos ressources (fichiers de gestion, courriers, travaux divers de l’entreprise) via un serveur installé sur un troisième ordinateur. Mon assistante travaille sur un Macintosh, moi-même sur un PC/Windows 98, et le serveur est équipé actuellement de NT4Server. (Pour être exhaustif, mon assistante est très jolie. Mais c’est aussi mon épouse, et je pèse 100 kilos de muscles ! alors pas touche.)

J’ai décidé, pour tester Linux, de l’installer sur le serveur en parallèle avec NT. Comme cela, je pourrai me faire une opinion objective des différences de performances - non pas techniques, mais pratiques - entre les deux systèmes installés sur la même machine.

Comme je ne suis pas très aventureux comme garçon (l’histoire des 100 kilos, c’était juste pour décourager les belligérants) , j’ai pris la précaution de sauvegarder toutes les données qui résident sur mon serveur, et conscient qu’il faudrait bien de la place pour Linux, j’ai reformaté mes petits 3 Go de disques, et réinstallé un NT4Server SP3 tout neuf sur une partition FAT16 occupant la moitié de mon espace disque. Avec ça, je devrais être tranquille.

C’est donc le grand moment. J’ouvre la boîte Mandrake que je viens de recevoir, et j’envisage la documentation : deux manuels qui semblent assez concis pour ne pas me rebuter. Un "Guide d’installation" et un "Guide de l’utilisateur". Les CDRoms, quelques feuilles avec mes numéros d’enregistrement de ma distribution Mandrake et de StarOffice... Tout se présente bien, et je commence à sentir l’exaltation de la découverte qui malgré mon but final professionnel chatouille ce qui reste en moi de l’enfant qui découvre un jouet.

Comme je l’ai dit, je ne veux pas perdre de temps. Et je suis sérieux. Donc, je me jette sur le Guide d’installation et je le lis en diagonale une fois, histoire de ne pas faire de grosse bêtise. La première impression est très positive : j’ai presque tout compris ! Bon, d’accord, les explications sur les partitions me semblent encore un peu confuses, mais je comprendrai quand j’y serai.

Et bien justement, comment y être ? Malgré mon positivisme forcené et mon envie d’y aller, je suis bien obligé de constater qu’on me parle dans le Guide d’installation d’une disquette de démarrage que je n’ai pas. Et comme mon "vieux" Pentium 166 ne sait pas démarrer sur son CDRom, je suis aussi bien obligé de me rendre à l’évidence : je vais devoir déranger une bonne âme pour m’expliquer !

C’est vrai, quoi, comment pouvais-je me douter que ce précieux renseignement indispensable, nécessaire, vital, et incontournable pour lancer l’installation se trouvait. Dans le Guide d’utilisation ! ? ! Je croyais - "neuneu" que j’étais - que le Guide d’utilisation était fait pour servir après l’installation, et pour l’utilisation du système, justement. Et bien je me trompais, c’est tout ! C’est de ma faute : il fallait bien comprendre que je devais étudier le Guide d’utilisation du système avant de l’installer avec son guide d’installation, c’était tellement évident ! À mon humble avis, ce devait être parce que je suis un fainéant qui veut que tout marche sans s’en donner la peine.

J’ai donc béni le ciel d’avoir un autre ordinateur pour pouvoir me connecter sur l’Internet et demander de l’aide à des gens compétents et compréhensifs. Au passage, je note que ça fait quand même un peu cher de devoir acheter 2 micros avec des OS propriétaires installés pour installer mon premier OS libre...

Oui, bien sûr, vous allez me dire "et le support gratuit de Mandrake, alors ?" et je vous répondrai : oui, ils disent répondre aux faxes et aux mails. J’ai envoyé un mail il y a trois jours pour demander simplement comment créer cette fameuse disquette de démarrage. Ils ont peut-être pensé que je n’avais "qu’à lire le manuel" parce que je n’ai toujours pas de réponse de leur part. Sans se douter une seconde de l’énormité de mon sincère désarroi qu’une simple phrase du style "regardez page 2 du manuel de l’utilisateur" aurait libéré ! Pourtant, je dois préciser que le site Mandrake est très bien fait, et que l'esprit de cette société me semble très sympathique. Mais disons qu'il y a peut-être encore quelques efforts à fournir pour atteindre la perfection...

En furetant un peu sur le web de Mandrake et en acceptant de déchiffrer les FAQ en anglais, j’ai obtenu la réponse en quelques minutes : on peut créer une disquette de démarrage d’installation simplement en double-cliquant sur un programme à partir de Windows avec le CDRom Mandrake et une disquette vierge.

Me voilà donc devant mon futur serveur Linux en train de démarrer sur cette disquette tant désirée, et qui me propose un texte en anglais. Pas très glop, pour moi, l’anglais. Bon, alors je reprends mon manuel de la parfaite installation, en me disant qu’il n’y aurait pas deux grosses bourdes de suite, quand même. Et bien si. On me conseille pour un serveur tout un tas de partitions judicieuses, sans me donner aucune indication sur la taille des dites partitions ! Combien pour le root, l’usr, le var, mmmm ?

Bon, un tour sur la liste Linux des débutants, et deux réponses en deux minutes. C’est dit, le plus simple pour moi qui n’y connaît rien, c’est encore une seule partition de 1Go pour le root, une partition "swap" de deux à trois fois ma mémoire vive sans dépasser 128Mo, et une partition pour les données "utilisateur" (/home) de 500Mo. Dont acte. Après quelques allers-retours pour comprendre les mouvements du curseur dans le logiciel de partitionnage de l’installation DiskDruid, me voilà avec mes partitions configurées, y compris mes "points de montage" pour pouvoir accéder à ma partition NT à partir de Linux. Je commence à me sentir expert linuxien...

Une précision importante : pour utiliser NT et Linux sur le même ordinateur avec le choix du système au démarrage, le plus simple est d’installer LILO sur la partition de Linux (pas sur le master boot) et d’utiliser sous NT un excellent petit logiciel gratuit nommé "BootPart" qui se charge de modifier le loader NT pour vous permettre de choisir aussi Lilo/Linux comme système de démarrage. Vous trouverez BootPart à http://www.winimage.com/bootpart.htm. (Suggestion à Mandrake : pourquoi ne pas le distribuer ?)

Les étapes décrites dans le guide papier d’installation ne reflètent pas exactement l’ordre de leurs apparitions dans le processus, certaines explications laissent pour le moins l’installateur apprenti que je suis assez dubitatif. Alors quand je ne sais pas, ou quand je ne peux pas deviner, je laisse les options proposées par défaut, et je continue consciencieusement à répondre aux questions posées par les écrans qui ce succèdent, j’introduis la disquette vierge demandée pour construire une disquette de démarrage d’urgence, et j’attends.

Bref, en fonctionnant avec une logique style "je prends le mode d’emploi et je suis pas-à-pas ce qu’il me dit alors ça doit marcher" il faut bien avouer que l’installation d’un Linux Mandrake est une véritable galère ! Si, si, c’est vrai ! Je profite du fait que tout est en train de s’installer tout seul pour vous l’écrire en direct : c’est une galère ! Vous vous rendez compte ? C’est une galère ! Tout n’est pas traduit en français, il faut aller et venir entre les guides papier, les listes de discussions et newsgroups Usenet. C’est une galère je vous dis ! Bon, c’est vrai, on obtient les réponses en quelques minutes, et on trouve tous les renseignements nécessaires dans les ressources de l’Internet. Mais tout n’est pas traduit en français, et pas toujours compréhensible par le commun des mortels. Comment ? J’exagère ? Oui, tout à fait !

En fait, si je me calme un peu de mon énervement provoqué par mon désir que tout fonctionne de suite, j’observe quand même que mon système Linux est déjà installé, et fait parfaitement tourner mon ordinateur. Même si je ne connais encore rien de Linux. Je remonte un petit peu dans ma mémoire, et je me souviens de mes premières installations Windows. Je ne me souviens pas avoir pu démarrer et utiliser l’ordinateur installé moins d’une heure seulement après avoir commencé l’installation sans aucune expérience. C’est drôle, mais ça me rappelle plutôt l’univers Macintosh : on installe, et ça doit marcher. En souriant !

Tiens, je me sens un peu moins frustré, tout d’un coup. Et puis, elle est sympa cette interface qu’ils appellent "KDE". Et j’y pense : on m’avait dit de me méfier des incompatibilités de cartes graphiques, mais je constate que mon NT4 Server exploite ma carte 3D Cirrus Logic 4M en 800*600 à 60Hz toute tremblotante (non, je n’ai pas installé le driver du constructeur), alors que Linux, lui, l’a reconnue dès l’installation et m’a proposé de l’utiliser en 800*600 à 75hz, en me permettant aussi du 1024*768 à 60hz. le tout en milliers de couleurs. Linux le luxe ?

Tiens, finalement, tout c’est quand même bien passé, non ?

Quand même, hors tout, ma première installation de Linux Mandrake s’est réalisée en moins d’une heure, sans aucun gros problème m’obligeant à tout réinstaller...

Mais comme je suis un sceptique, je suppose que j’ai eu simplement de la chance. Et comme je me méfie de ne pas avoir tout compris et que je suppose ne pas avoir choisi certaines bonnes options lors des choix à valider, je décide de recommencer, pour voir.

Donc, la deuxième fois, j’ai ma disquette de démarrage d’installation Linux Mandrake, j’ai les renseignements nécessaires quant aux espaces partitions et à mon matériel, et je ne suis plus obligé d’aller et venir entre l’écran, le guide papier, les documentations sur mon matériel, mon ordinateur n°2 pour les questions et documentations sur Internet, et je sais ce que je veux installer parmi les nombreux packages proposés.

Pour être plus précis, je sais que je dois rajouter les supports "Samba" pour utiliser le serveur Linux avec mon poste Windows, et le support MacUtils des fichiers Macintosh pour utiliser mes documents Mac à ce qui est proposé dans la distribution Mandrake par défaut.

Fort de tout ça, je mets soigneusement ma disquette de démarrage dans le lecteur disquette, le CDRom Mandrake dans le lecteur CD, et j’allume mon ordinateur. Je lance une installation complète en mode "expert", pour remplacer la précédente et choisir précisément les options, change mes tailles de partitions (root 1G, swap 96Mo, home 500Mo) en les reformatant, et réponds soigneusement aux questions que me pose le système sur mon matériel pendant la procédure d’installation.

24 minutes plus tard, Linux était installé en mode graphique (KDE) et fonctionnait parfaitement. Même mes souvenirs macintoshiens ne se rappelaient pas d’une telle rapidité et d’une telle efficacité.

Et j’en arrive même à me demander si les linuxiens intégristes n’ont pas raison quand ils fustigent les utilisateurs d’autres systèmes d’exploitation ! Bon, enfin, il ne faut pas exagérer. Pardonnez cet excès du à la jubilation dans la découverte de ce que je pense être le système incontournable et enfin standard de demain.

Mais ceci est une autre histoire. Pour l’heure, je vais un peu étudier Linux - et surtout ses possibilités - et je reviendrai vous compter ici mes expériences, si vous le voulez bien !

Guy Capra,
www.creatique.com


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