Un bon départ
En 1993, au démarrage du Web, le navigateur par défaut était l'ancêtre
Mosaic. Le choix était restreint et Microsoft ne s'intéressait pas encore à Internet.
Le principal attrait était le "surf" mais on parlait encore à l'époque de Gopher,
de Veronica des news et même des IRC (Internet Relay Chat). Vint ensuite le fameux
Netscape 1.0 qui se répandit rapidement dans le public. Tellement rapidement
qu'en 1994 sur l'autoroute urbaine A40 à l'Ouest de Londres on voyait des panneaux
publicitaires qui nous promettaient un avenir radieux où nous travaillerions
depuis chez nous : "Today stuck on the A40, tomorrow on the Information superhighway".
Tout allait bien pour Netscape et ses créateurs (Jim Clark et Marc
Andreesen), Netscape dont le nom rimait presque entièrement avec Internet. Car
soyons francs, les 80% de part de marché de Netscape montraient un quasi monopole
de fait pour la firme de Mountain view, Californie. Et ce monopole là, personne
ne trouvait rien à y redire.
Microsoft : abus de position dominante ?
1996 marqua le virage de Netscape vers l'Intranet avec sa suite de serveurs
et de logiciels (suite spot, en Octobre 1996). Netscape était donc promis à un
bel avenir, et Microsoft ne se réveilla que durant l'été de cette année là -
date de la livraison de IE4.0 - nouveau navigateur de Microsoft, et digne concurrent
de Netscape qui dominait le monde du Web avec sa série 3. Avant cette date, Bill
Gates avait déclaré que l'Internet n'était pas vraiment un axe stratégique pour
Microsoft (1995). Le lancement d'Internet Explorer 4 en 1996 devait changer la
donne.
Alors comment expliquer la position actuelle (voir statistiques ci-après) du
pionnier du navigateur sur son marché ?
Les discussions de café du commerce de l'informatique pointeront
le doigt de façon quasi unanime sur Microsoft et son monopole de fait au travers
de la livraison de IE. 4.0 de façon standard avec Windows 95 puis 98. Toutefois,
les causes sont peut-être plus complexes que cela. Replongeons-nous dans l'historique
et faisons l'autopsie d'un échec.
1994 : refus de travailler avec Microsoft
Si on pointe le doigt sur Microsoft au travers d'un procès très médiatisé,
on oublie souvent de rappeler qu'en 1994, Netscape refusait de travailler avec
Microsoft pour intégrer son navigateur à … Windows 95 ! En refusant de fournir
une licence de son logiciel à la firme de Bill Gates, Netscape s'est coupé de
la possibilité de coupler son navigateur au système d'exploitation le plus populaire
et de maintenir sa position de leader. Les raisons invoquées par Netscape à l'époque
(refus de livrer la technologie Netscape à Microsoft, et proposition sous-évaluée
de la part de Microsoft) se sont en fait retournées contre eux car à peine un
an plus tard, Microsoft livrait le produit qui devait leur porter un coup sévère.
Microsoft passe des accords avec des FAI (fournisseurs d'accès Internet) et
des fabricants
Microsoft, et c'est d'ailleurs ce qui lui est reproché, a noué des accords
très puissants avec des fabricants qui ont installé IE sur leurs machines par
défaut, mais surtout avec des fournisseurs d'accès Internet (FAI). Imaginez toutes
les copies qu'AOL (un nom que nous retrouverons plus tard) a fourni du navigateur
de Microsoft avec ses kits d'installation. En France, la même chose s'est passée
avec Wanadoo et Free (aux beaux jours du tout gratuit pour ce dernier) qui personnalisaient
IE afin de faire paraître leurs logos directement sur le navigateur. C'est bien
ces kits d'installation qui sont au cœur du problème, plus que les versions préinstallées
de IE 4, du moins pour les accès résidentiels (on verra d'ailleurs dans les statistiques
que le milieu professionnel reste un plus gros utilisateur de Netscape) car c'était
un élément de branding pour les FAI. Seuls les utilisateurs avancés (donc une
minorité) étaient capables d'installer des accès Internet sans utiliser le kit
d'installation.
Une autre raison maintes fois avancée était que le navigateur de Microsoft
était livré gratuitement et que celui de Netscape était quant à lui payant. Je
ne garderai cependant pas cette hypothèse car cela ne concernait pas le grand
public qui était libre de télécharger le logiciel de Netscape ; à supposer en
outre que cette restriction se soient appliquée systématiquement aux acheteurs
professionnels qui étaient censés régulariser leurs achats de licence auprès
de Netscape (il y en eut).
Les habitudes des utilisateurs
Une étude de 1997 menée par GVU montre également que les utilisateurs, qu'ils
soient européens ou américains changent rarement de navigateur plus d'une fois.
Une fois un navigateur installé et l'habitude prise par les utilisateurs, il
est donc très difficile de revenir en arrière. Netscape a vraiment raté le wagon
des kits d'installation et des partenariats, sauf celui avec IBM et Sprint.
Netscape devient paranoïaque
Une autre raison qui peut expliquer le fiasco de Netscape, est le
climat de paranoïa qui s'est développé dans la firme pour ce qui concerne ses
relations avec son principal challenger. Obsédés par la crainte que Microsoft
puisse abuser de sa position déjà dominante sur le marché de la bureautique et
de l'OS pour ordinateurs personnels, les ingénieurs et dirigeants de Netscape
finirent par oublier d'améliorer leur produit et de se différencier de Microsoft
par la qualité et l'innovation. La firme a poussé des incantations - souvent
relayées par Sun - dans la fin des années 90 qui finissaient par ne plus avoir
de sens. Et je me souviens notamment d'une manifestation de haine en 96 à Bruxelles
qui ne devait rien à 1984 de George Orwell, avec Vidéo clips à l'appui, pour
diaboliser Bill Gates et son entreprise. Le but n'était plus de construire ni
même de prouver que techniquement Java apportait un plus tangible pour le client,
l'entreprise et le développement d'Internet, mais de diffuser une idéologie de
victime vis à vis d'un offreur dominant sur le marché. Cette paranoïa a fait
perdre à Netscape la vue des finalités nécessaires au développement commercial
de la firme et ont précipité sa chute.
Netscape rate ses nouveaux produits et perd ses experts et ses visionnaires
Et c'est ainsi que Netscape a raté complètement sa version 5.0, qui ne vit
jamais réellement le jour. Ainsi, la version 4.x s'est étirée en longueur jusqu'à
en arriver à la version 4.7, à peu près stabilisée, à force de corrections de
bugs successifs et persistants. Ainsi, quasi aucune innovation industrielle sur
ce produit n'a été publiée de 1999 à 2002, date où le passable Netscape 6.2 a
été officiellement sorti.
Et je ne mentionne même pas le fiasco des fiascos, cette version 6.0 que quelques
privilégiés dans le monde ont pu télécharger mais surtout installer et qui a
toujours obstinément refusé de marcher. Et que dire de ce que Netscape a fait
de sa stratégie de base sur le client léger ! Loin de se démarquer de Microsoft,
la firme de Mountain View se mit à produire des logiciels plus lourds et moins
performants que Microsoft.
Taille au téléchargement : Paul Sciortino a répertorié les différents poids des
navigateurs. En voici un résumé :
Browser (Windows)
|
Filename
|
File size (MB)
|
Source
|
Netscape 3.04 |
n32e304.exe |
3.3 |
ici |
Netscape 4.51 |
cc32e451.exe |
14.3 |
ici |
Netscape 4.78 |
cc32d478.exe |
22.4 |
ici |
Netscape 6.1
|
N6SetupB.exe |
24.4 |
ici |
Netscape 6.2 |
N6SetupB.exe |
25.1 |
ici |
Note : on verra notamment le saut entre la version 4.5x et la version
4.7x qui amène Netscape à des niveaux de téléchargement qui n'ont plus rien à
envier à Microsoft. Nous sommes bien loin du client léger.
On a le sentiment d'un immense gâchis qui a d'ailleurs fini par
dégoûter les experts et les visionnaires de Netscape eux-mêmes. Les départs de
ceux-ci se succédant, Netscape est entrée dans un cercle vicieux qui a tiré son
produit vers le bas. Jim Barksdale, Marc Andreesen, Mike Homer, Mike McCue et
Angus Davis sont tous partis de Netscape les uns après les autres, jusqu'au rachat
par AOL en 1998.
Le résultat fut justement de faire la part belle à Microsoft,
mais là il faut aussi avouer que Netscape a donné un sacré coup de main à Bill
Gates.
Les inconditionnels quittent le navire
Tous ces événements, et surtout le fait que finalement Netscape
était devenu un produit assez médiocre, ont fini par dégoûter également les inconditionnels
de la marque (dont votre serviteur) qui jusqu'à la dernière minute ont essayé
de tenir bon et de donner la faveur à Netscape aux dépens IE. Mais faire développer
un site Web ou un logiciel Web en asp pour un navigateur buggé, obsolète et ne
représentant désormais plus une grande part du marché n'avait plus beaucoup de
sens.
Et c'est ainsi que les statistiques d'utilisation de Netscape
ont fini par tomber très bas.
Les deux tableaux ci-après vous donnent les statistiques comparées
des représentativités des navigateurs de Netscape et de Microsoft entre un site
grand public (http://faxfacile.com/ sur Wanadoo) et B2B (http://fr.viasolutions.com/) :
Faxfacile
Viasolutions
Note : Calculs effectués sur plus de 100000 visiteurs sur chaque
site, sur une période de 3 mois. On remarquera que Netscape 4.x a beaucoup mieux
résisté dans le milieu professionnel avec une part de 7.6% contre 1.0% dans le
grand public (Wanadoo). La part de marché d'Internet Explorer sur ce site grand
public est passée quasiment à 99%. Il est temps que Netscape réagisse !
Le rachat par AOL : un faux espoir (1998)
En 1998 le rachat par AOL a permis de croire à un sursaut de Netscape
et a redonné du courage aux afficionados. Enfin, Netscape allait pouvoir être
distribué au travers du plus grand réseau FAI mondial. Hélas, AOL ne crut pas
réellement dans les chances de Netscape, qui avait perdu ses gourous et ses techniciens
comme nous l'avons vu précédemment. AOL a donc joué la sécurité en conservant
ses accords avec Microsoft et en reléguant Netscape dans une division à part
d'AOL intitulée @work.
Ce fut donc un faux espoir et Netscape ne s'est pas remise de
ses malheurs avant 2002 (comme nous allons le voir bientôt).
IE 5 : un produit réellement réussi
Enfin, il faut reconnaître objectivement qu'IE 5 était sur le
plan de l'usage un produit très réussi. Plus léger que Netscape (un comble car
Microsoft était pointé du doigt en 95 par Netscape pour vouloir " plomber " nos
postes de travail) et plus rapide. Il était aussi plus puissant (et donc aussi
plus dangereux, notamment lorsque des trous de sécurité étaient dévoilés au fur
et à mesure, ce qui est encore le cas avec la version 6). Mais en
termes d'utilisation pure, il était plus agréable, plus graphique, plus souple
avec les tactiques html, dhtml et autres utilisées par les développeurs Web qui
cherchaient à rendre les sites Internet plus performants.
Il est vrai que Netscape et Microsoft ont tous les deux contribué
à faire dévier Html de ses standards fixés par le W3C en ouvrant la porte à des
balises Html propriétaires. Mais Internet Explorer a permis des choses que Netscape
ne n'autorise encore pas. En voici deux exemples frappants :
-
L'astuce " favicon " bien connue des webmestres qui permet d'appliquer
un branding à un site Web en en personnalisant l'icône qui se charge automatiquement
dans les favoris. Loin d'être un gadget, c'est un élément de reconnaissance
du site Web qui serait autrement perdu dans la masse des favoris ajoutés à
la hâte par l'utilisateur de façon anarchique.
-
ILINK, la balise pourtant standard du Internet Link Exchange,
toujours inconnue de Netscape Composer à ce jour.
-
Des incompatibilités sur les calques qui rendent certaines pages
illisibles (ce point est corrigé dans la version 6.2.2)
-
Visualiser le test de compatibilité de la page francetelecom.com
avec Netscape (source Dreamweaver)
Netscape 6.2.2 permettra-t-il à Netscape de renaître ?
Et voilà que suite à l'expiration du contrat entre Microsoft et
AOL en 2001, AOL a décidé de répliquer en couplant Netscape (et non plus IE)
avec ses kits Compuserve. Certes, Compuserve ne pèse que 3 millions d'utilisateurs,
qui comparés aux 34 millions d'AOL font figure de banc d'essai.
Mais c'est un signe fort qu'AOL veut envoyer à Microsoft.
Alors faut-il se réjouir, anciens inconditionnels de Netscape
et libres penseurs du logiciel ? Hélas, j'ai bien peur que ce ne soit pas si
simple. Voici un mois que je me force à utiliser Netscape 6.2 (basé lui aussi
sur Gecko) et malheureusement, je n'ai pas encore trouvé, en toute objectivité
ce produit impressionnant, ni même simplement facile d'utilisation, même si cette
impression peut être tempérée depuis la sortie de la version 6.2.2 fin avril
2002.
Il est toujours plus lent au chargement dans Windows. Ceci est
encore plus visible sur les ordinateurs moins puissants (Pentium II s'abstenir).
Ceci est tellement vrai qu'à l'installation, Netscape demandera si vous voulez
installer "Quick Launch" qui permet de laisser Netscape en mémoire et d'accélérer
son lancement. Mais cette différence tend elle aussi à s'estomper avec la version
6.2.2. CNET a également montré que le html était affiché plus
lentement par Netscape (mais attention, ce fait est également contredit par
la nouvelle version 6.2.2).
-
Un des atouts avancés par les aficionados du camp Mozilla est
la compatibilité du moteur avec Linux, mais aussi avec les terminaux Internet
mobiles, qu'il s'agisse de téléphones ou d'assistants personnels. Gecko, la
technologie qui constitue l'épine dorsale de Netscape et de Mozilla rend cette
évolution possible.
-
Toutefois, Mozilla et Netscape, malgré cette quête d'universalité,
risquent de trouver des concurrents sur leur chemin. Ainsi des experts comme
Ken Smiley de Giga Information Group restent assez sceptiques
: "je ne vois pas vraiment pourquoi les gens essaieraient le navigateur de
Mozilla sur leurs Visor, car il y en a déjà un bon par défaut. Je ne suis pas
convaincu que leur solution soit supérieure."
La technologie Mozilla est en fait selon ses défenseurs plus qu'une
technologie pour navigateur car elle permet notamment de développer de réelles
applications autour de son moteur. Cela est très bien, mais est-ce suffisant
pour relancer Netscape dans le monde des utilisateurs. On peut encore en douter
car le projet est trop orienté technique et a quelque peu oublié les utilisateurs.
Par exemple, un petit détail qui choque dans Netscape 6.2 : affichez
une image, un logo, cliquez à droite de la souris pour le recopier dans votre
traitement de texte favori et ... déception des déceptions, ce n'est pas possible
!
Tant que les développeurs de Netscape n'auront pas compris que
les utilisateurs sont leurs premiers clients il y a malheureusement peu de chances
que nous puissions être les témoins d'un changement salutaire dans le monde des
navigateurs. Il est cependant évident que la nouvelle version mise à la disposition
des utilisateurs en avril (version 6.2.2) apporte de nettes améliorations et
que Netscape, grâce à elle, redevient une alternative possible au navigateur
de Microsoft.
Espérons que notre appel soit entendu et que, peut-être à la faveur
des failles de sécurité de IE6 détectées par CNET, Netscape
revienne au devant de la scène pour permettre un véritable choix aux utilisateurs
et que nous soyons libres de surfer avec l'un ou l'autre des navigateurs.
Car enfin, en dehors de toute objectivité, je me réjouis de voir
une version de Netscape réellement utilisable après tant d'attente, qui peut
faire espérer que notre ancien navigateur favori puisse enfin renaître de ses
cendres.
Par Yann Gourvennec
http://visionarymarketing.com
[29.08.2002 09:31 - Yann Gourvennec] |