vendre, site portail, 18 mois d'existence, 250.000 visiteurs
réguliers, mailing-liste 35.000 abonnés, prix à débattre. Certes
on ne trouve pas encore de petites annonces de ce type (ou très
peu), mais il est clair que la tendance actuelle de la Net-Economie
est au rachat. Alors, vendre son site, oui, mais combien ?
Le
magazine Net@scope ouvrait
récemment ses pages sous la forme d'un éditorial constatant qu'aujourd'hui
les jeunes webmasters ne se préoccupent du contenu de leur site
que dans un second temps, le critère primordial étant : "Qui
achètera mon site, et combien ?". Une question intéressante
s'il en est, mais donc la réponse est loin d'être simple.
Appartenant
au Groupe LVMH (et incluant entre autres Darty), LibertySurf
a successivement racheté le portail Nomade,
la communauté ResPublica
et tout récemment la société CentPourCent,
qui est à l'origine de RegieClick,
régie publicitaire en ligne. Avec une toile ainsi tissée, la boucle
est quasiment bouclée. Au fil d'une recherche sur Nomade, le visiteur
découvrira bien vite qu'il peut en quelques minutes ouvrir son
site Web au sein de la communauté ResPublica. Celle-ci fonctionnant,
comme la plupart de ses consoeurs, sur une obligation d'afficher
de la pub, cela permettra d'écouler rapidement le stock de clicks
à générer, et commandés par les annonceurs. Et cela aussi pour
effet de multiplier ces derniers. Enfin, il ne sera pas bien difficile
de mieux cibler le visiteur en fonction des bannières sur lesquelles
il a cliqué, des sites qu'il a visités et des recherches qu'il
a effectuées dans Nomade. On saura donc d'autant mieux quel produit
lui proposer parmi le vaste choix d'articles grand-public distribués
par LVMH. Et le prospect se prêtera d'autant mieux à ce ciblage
(consciemment ou non) qu'il lui sera offert un accès gratuit à
Internet, grâce à l'offre LibertySurf.
Savoir
d'emblée à qui vendre un fer à repasser ou un magnétoscope donne
des résultats en matière de retour bien plus importants que de
lancer une offre de masse. Réduction des frais de marketing grâce
à un ciblage précis, optimisation des taux de retour, cela frôle
l'idéal économique. En ajoutant à cela qu'à force de recevoir
des offres de produits, le surfeur made in LibertySurf finira
tôt ou tard par acheter, ne serait-ce que pour "remercier"
à sa façon le bienfaiteur qui lui a donné un accès gratuit au
Net.
Le
prix d'achat d'un tel pool de sites est très difficilement chiffrable,
car il ne dépend pas seulement du nombre de visiteurs (existants
ou potentiels), mais aussi de critères beaucoup plus propres à
l'acheteur :
-
Avec ce rachat, a-t-il la certitude de se positionner comme numéro
1 sur son secteur ?
-
Vise-t-il un équilibre financier sur 2 ans, 5 ans ou 10 ans ?
-
Quelle importance revêt, dans ces opérations, le critère de l'image
de marque ?
Prenons
un autre exemple : le rachat de RapidSite
France par France Télécom
Sites. Créée au printemps 1999, cette filiale de l'opérateur
français arrivait tard sur le marché de l'hébergement. Certes,
France Télécom avait déjà une filiale d'hébergement, FTH,
mais celle-ci, en raison de sa très haute technicité et des tarifs
en rapport, se réservait à de "gros" clients. Conformément
aux habitudes du Groupe France Télécom, il lui fallait donc se
positionner rapidement en force sur un marché à fort potentiel.
En rachetant RapidSite France, France Télécom Sites n'était pas
tant intéressée par les quelque 10 MF de C.A. annuel de la société,
que par la position de numéro 1 français que lui conférait ce
rachat. Position acquise certes de façon très artificielle, mais
acquise quand même. Si le montant du rachat, là aussi, est demeuré
secret, il est évident qu'il a de loin dépassé ce qu'il aurait
été dans le cadre de l'évaluation traditionnelle d'un fonds de
commerce.
Autre
cas de figure encore : le groupe suédois Spray,
implanté en France depuis septembre 1999, a successivement racheté
PageFrance et Caramail,
deux sites suscitant certes un fort intérêt auprès des internautes,
mais absolument pas rentables en l'état, ou très peu. Alors, pourquoi
avoir investi des dizaines (et probablement même des centaines)
de millions de francs dans ces sites ? Réponse : l'entrée en Bourse.
On le sait, rien n'est plus efficace pour une introduction en
Bourse qu'un battage médiatique de tous les diables (souvenez-vous
de celle d'Apple en 1980). Etant bien entendu que parmi les abonnés
de Caramail et les lecteurs de PageFrance, des investisseurs potentiels
sont là. Des gens qui, individuellement, achèteront peut-être
une, cinq ou dix actions Spray... mais ils sont des centaines
de milliers.
Alors,
combien vaut votre site ? S'il paraît qu'aux Etats-Unis le "prix"
moyen d'un visiteur est de 2.500 francs (contre 1.000 francs en
France), il ne s'agit là que d'une moyenne, signifiant que tous
calculs faits, un site engrangeant une fidélisation de 200.000
visiteurs vaudrait (au conditionnel) 200 millions de francs. Mais
ce chiffre sera sans doute plus élevé si, pour l'investisseur,
le rachat est particulièrement stratégique (voir par exemple la
procédure de rachat de Thawte
par Verisign, conférant
à ce dernier un statut quasi monopolistique dans le domaine de
la certification). Et d'autres facteurs enfin viendront moduler
ce prix :
-
le mode de rachat (par liquidités ou sous la forme de stock options),
-
les modalités de l'absorption (les dirigeants du site sont-ils
maintenus, et quels sont les salaires et avantages qui leur seront
alloués),
-
les modalités de la clause de non-concurrence,
-
etc.
Ce
prix pourra en revanche être beaucoup plus faible que la moyenne
dans certains cas, tels par exemple la cessation d'activité d'un
site (si la décision vient de son propriétaire, bien sûr), et
son rachat par un concurrent.
Ceux
qui attendaient de cet article une formule magique pour l'évaluation
du prix de leur site seront sans doute déçus. Mais il y a mille
raisons et mille façons de vendre un site, et le prix de la transaction
dépendra largement autant du positionnement de l'acheteur que
du contenu et/ou des visiteurs du site à vendre.
Jean
Lançon,
http://www.jeanlancon.com
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