près
avoir créé un lot de nouvelles fortunes - souvent relatives, si
l'on tient compte du fait que bon nombre de rachats de start-ups se font en grande
partie par cession ou échange d'actions, Internet dans sa cuvée
2000 présente ses premiers gadins, dont certains sont pour le moins spectaculaires.
Suivez donc le mode d'emploi ci-dessus, et vous serez certains, vous aussi, d'être
" tendance " et en phase avec la nouvelle mode d'Internet : la faillite.
Dépôt
de bilan, plan de redressement, liquidation judiciaire
autant de mots qui
vous ont souvent fait rêver, mais souvent les moyens ou l'ambition vous
ont manqué. Pourtant, aujourd'hui, grâce à notre méthode
infaillible résultant de notre longue expérience de six semaines
de surf intense avec un FAI gratuit mais qui fait de la pub à télévision,
vous aussi, oui, vous aussi, vous pouvez, en toute simplicité et à
moindres frais, créer votre propre cyberentreprise, et connaître
une gloire sans pareil dans les 30 jours qui suivent, au moment où elle
devra cesser toutes ses activités.
Hormis
un BAC+6 qui vous sera absolument nécessaire pour affronter de pleine face
votre ration quotidienne de 7h30 de réunions marketing, hormis un costume
BCBG de préférence aux couleurs pastel et avec une cravate pétard
pour être remarqué au milieu de vos semblables au cours de vos 5
soirées cocktail hebdomadaires, vous n'avez pas besoin de grand chose pour
accéder, vous aussi, à la notoriété dernier cri de
la net-culture.
Notre
méthode tient en cinq points essentiels, que grâce à un partenariat
bannières / click-throughs / affiliate / branding conclu avec Sam-Mag,
nous vous dévoilons ici gratuitement !
1. Oubliez les
principes de base de l'économie
Surtout
ne faites pas de chiffre d'affaires, ou alors veillez à ce qu'il soit ridicule.
Ou encore, faites du chiffre, mais surtout veillez à vendre à perte
(prix d'achat + 1 franc, et frais de port gratuits + carte de fidélité).
L'idéal étant quand même un schéma de site 100% gratuit,
sans publicité, sans programme affilié, où seule la collecte
d'informations personnelles (et de préférence l'adresse e-mail car
c'est la plus éphémère de toutes) permettra à vos
experts en marketing de ne toujours pas trouver, dix ans plus tard, comment exploiter
les données de façon rentable.
2. Montez votre
business-plan en tout premier lieu
Ne vous
empressez pas de faire votre site, car le plus important c'est l'argent. Et pas
celui que vous allez gagner, mais celui que certaines personnes vont miser sur
vous. N'oubliez surtout pas que la finalité absolue, c'est soit de mourir
de façon prématurée, soit de vendre une peau de banane à
prix d'or au nom de la Sainte Cyber-Economie. Donc votre outil le plus utile sera
le business plan, car il vaut mieux un business plan plein de graphiques avec
une logique économique inexistante, qu'un fonds de commerce sain sans business
plan. C'est ça aussi, la nouvelle économie.
3. Misez sur la
pub
Les spots
TV, la presse, les bannières en ligne, mais aussi les autobus, les abribus,
les camions de pompiers, sans même oublier les toilettes du bar-tabac en
bas de chez vous, n'oubliez pas qu'aucun support ne doit être négligé.
Vous devez co-mmu-ni-quer, véhiculer une image forte, dynamique, moderne,
branchée. Et ne faites pas de chiches économies, car si vous perdez
moins de 10 MF vous perdrez toute votre crédibilité.
4. Promettez la
lune
Ne vous
contentez pas de fournir un service gratuit. Offrez de l'argent à vos visiteurs,
et veillez à ce que leurs gains soient proportionnels à leur fidélité.
Plus ils font de PAP, plus ils doivent gagner. Tant pis si vos recettes publicitaires
ne couvrent pas les frais, vos experts en marketing sauront tôt ou tard
faire ce qu'il faut pour jeter l'éponge.
5. Embauchez massivement
Recrutez
sans relâche. Quatre webmasters seront nécessaires pour mettre votre
site en route (un pour les pages, un pour la base de données, un pour les
JPEG et un pour les GIF). Au moins cinq personnes devront être embauchées
à la comptabilité, vu le nombre de chiffres qu'il faudra maîtriser
le jour où le succès arrivera. Bien sûr, une bonne douzaine
de commerciaux feront du phoning à longueur de journée pour vendre
1.000 PAP à droite, 1.000 PAP à gauche, le tout bradé à
60FF HT le CPM. Pensez aussi à intégrer en moyenne un cadre supérieur
pour deux employés : au-delà de deux, une équipe de salariés
est ingérable. Et surtout, ne lésinez pas sur les salaires, vu que
de toute façon, quand la faillite tant attendue sera enfin arrivée,
les salaires non versés seront pris en charge par le GARP
STOP !
Ici commence
(enfin) la partie sérieuse de cet article. Pourquoi un préambule
si long, me direz-vous ? Tout simplement parce que, parfois, même quand
la réalité est bien présente dans l'inconscient collectif,
insister jusqu'à la caricature totale et grotesque est nécessaire
pour que certaines choses soient bien comprises.
On sait
déjà le mal que les grands médias ont fait au particulier,
en lui laissant croire qu'Internet est un immense libre-service où tout
est gratuit. On commence aujourd'hui à voir poindre à l'horizon
l'ébauche d'une grande désillusion.
On sait
aussi, avec les faillites de Boo.com,
de Koobuycity.com et
de tous ceux qui vont suivre, que cette surmédiatisation indécente
a été lourde de préjudice pour les entreprises, qui, elles
aussi, ont cru à un Eldorado numérique.
On sait
maintenant qu'à moins de rester figés sur leurs scorings et confortablement
assis sur leurs nuages en attendant l'averse, les financiers de la Nouvelle Economie
vont réfléchir à deux fois avant de prendre leurs prochaines
décisions, qu'il s'agisse de tours de tables ou de rachats, et qu'il est
probable (ou du moins souhaitable) qu'ils accordent plus d'importance, à
l'avenir, à des schémas économiques viables, plutôt
qu'à des phénomènes de mode dont l'espérance de vie
ne dépasse pas six mois.
En d'autres
termes, le feu d'artifice de Nouvelle Economie est en train de prendre l'allure
d'un pétard mouillé, et après les engouements excessifs suivis
de dégringolades qui ne le sont pas moins, cette nouvelle économie
va bien sagement venir se fondre dans la " vieille ", son aînée,
qui fait ses preuves depuis des siècles, et nous prouve aujourd'hui qu'il
est des domaines où vouloir réinventer la roue ne sert strictement
à rien.
Bien sûr,
le commerce électronique a un avenir certain. Bien sûr, les perspectives
d'une entreprise en ligne sont énormes, et ses espérances de croissance
sont phénoménales. Mais il faut, plus que jamais, que les fondations
de cette entreprise soient saines : l'ouragan emportera moins facilement une masure
de 30m2 bâtie dans la pierre au siècle dernier, qu'une maison de
400m2 construite en préfabriqué sur un sol meuble.
A moins
d'avoir des millions de francs à perdre pour ne pas les donner au fisc,
à moins d'avoir la patience de voir vos directeurs financiers vous faire
perdre des sommes colossales pendant dix ans, soignez avant toute chose la cohérence
économique de votre entreprise si vous faites du business sur Internet.
Il y a
donc trois morales à cette histoire :
- Respectez
les marges vitales de votre marché,
- Optimisez vos coûts d'achats et de logistique,
- Kasskooye.com avait
bien raison.
Jean
Lançon,
http://www.MJPRESSE.com
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