e grand public découvrait le Web et les médias
ne parlaient plus que de cela. Mais pour leur part, les vétérans
d'Internet avaient le blues. Apanage d'une communauté virtuelle
peuplée de passionnés, étudiants ou spécialistes,
le réseau le plus fréquenté de la planète
avait longtemps fonctionné selon une éthique libertaire,
ayant pour principe que l'information devait être librement
disponible à tous, sans considération de profit.
Le développement extraordinaire d'Internet à l'échelle
mondiale avait apporté la preuve du bien-fondé d'une
telle démarche. Pourtant, le monde du business commençait
à s'intéresser sérieusement à ce canal
de communication.
Depuis
sa création, le réseau avait été financé
par un ensemble d'institutions gouvernementales ou universitaires.
Le principal donateur, la NSF (National Science Foundation) versait
chaque année une obole de 40 millions de ollars. Or, à
partir de 1995, il était entendu que la NSF allait cesser
sa contribution. Qui pourrait financer l'Internet à terme
? Essentiellement, des entreprises privées. Cette mutation
risquait pourtant de bouleverser la douce anarchie qui avait jusqu'alors
prévalu, car tout portait à croire que les industriels
échangeraient leurs subsides contre de la publicité.
Les signes avant-coureurs d'une telle récupération
mercantile étaient apparus en avril 1994. L'agression avait
démarré en avril. Laurence Canter et Martha Siegel
avaient diffusé sur le Net un message publicitaire destiné
aux étrangers désireux d'obtenir la fameuse carte
verte qui permet de travailler aux USA. Les deux juristes de l'Arizona
avaient soigneusement préparé leur coup. Un petit
programme de leur confection, avait placé leur annonce
sur près de 6.000 groupes de discussions, amenant plusieurs
millions d'utilisateurs à en prendre connaissance à
leur corps défendant.
Sur l'ensemble du réseau, le choc avait été
immense : le couple de l'Arizona s'était permis de violer
l'une des règles les plus fondamentales d'un réseau
jusqu'alors fondé sur la libre-entraide et dénué
de toute visée commerciale. La réaction avait à
la mesure du délit. Très rapidement, la boîte
aux lettres électronique des deux avocats avait été
saturée de messages fielleux, rendant malaisée toute
exploitation de celle-ci. Harceler le duo de juristes devint même
à la mode. Un adolescent de 16 ans fit publiquement connaître
son intention d'aller rendre visite à la firme d'Arizona
et d'y mettre le feu. Un utilisateur d'Australie s'amusa à
adresser près de 1.000 demandes d'informations factices
par jour. Internet Direct of Phoenix, la compagnie qui avait fourni
un accès au Net aux deux avocats, ne pouvant prendre en
charge les milliers de messages quotidiennement destinés
à Canter et Siegel décida finalement de supprimer
leur abonnement.
Le scandale eut un tel retentissement que les deux juristes furent
invités à venir s'expliquer sur CNN et sur plusieurs
radios américaines. Loin de faire amende honorable, le
couple infernal laissa entendre que l'initiative avait été
couronnée de succès : elle avait permis d'engendrer
100.000 dollars potentiels en terme de prospect intéressés
par leurs services ! Dans une interview accordée au New
York Times, ils se déclaraient fiers d'avoir été
les premiers à exploiter le potentiel marketing de l'Internet
et laissaient entendre qu'ils n'hésiteraient pas à
récidiver. Leur mission était clairement affirmée
: faire entrer l'Internet dans l'ère commerciale. Canter
& Siegel annonçaient d'ailleurs la rédaction
d'un livre qui donnerait plusieurs techniques permettant d'effectuer
des envois de message en masse sur l'Internet.
Face à cette déclaration de guerre ouverte, les
branchés de l'Internet redoublèrent leurs opérations
commando. Pendant plusieurs mois, le télécopieur
des juristes ne cessa de cracher des kilomètres de papier
vierge de toute information. Tous les matins, à la porte
du cabinet, arrivaient plusieurs centaines de magazines pour lesquels
le couple était censé avoir demandé un abonnement
d'essai. Un programmeur norvégien avait pour sa part trouvé
une parade aux envois en nombre de Canter et Siegel en développant
un automate qui balayait les forums de l'Internet et détruisait
tout message envoyé par le duo. Mais hélas, le mal
était fait et d'autres allaient suivre le modèle
inauguré par Canter et Siegel. Au cours des années
qui allaient suivre, l'envoi en nombre par E-mail (surnommé
"spam") allait devenir l'un des fléaux d'Internet...
Extrait du livre :"les Nouveaux
Héros d'Internet"
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Daniel Ichbiah
Auteur de nombreux livres qui font référence
en matière de nouvelles technologies :
"Génération MP3, la victoire de la musique"
"Bill Gates et la saga de Microsoft"
"La saga des jeux vidéo"
Site Web : http://www.ichbiah.com
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