'est en grande partie pour sa gratuité omniprésente
que le web a suscité l'engouement que l'on a observé
jusqu'à présent. Pourtant, cet argument imparable,
petit à petit, tend à disparaître au
profit du sempiternel modèle payant, remettant en
cause, non seulement la notion de " nouvelle économie
", mais aussi celle d'un espace virtuel " qui
appartient à tous et où (presque) rien ne
se paie "
A
moins d'être un espace purement passionné et
à la charité bien ordonnée, un site
web ne peut, sur le long terme, survivre que grâce
au nerf de toutes les guerres : l'argent. L'existence d'un
site, mais aussi sa promotion, sa maintenance, ses mises
à jour, ses évolutions, nécessitent
des moyens qui ne sont pas qu'intellectuels, mais qui font
bel et bien appel à des ressources financières
souvent conséquentes. A titre d'exemple, les quelques
propriétaires de sites perso qui relayaient l'actualité
ont très vite dû réviser leur position,
constatant le réel travail qu'un tel projet impliquait.
Qu'on ne se méprenne pas : sur le Net cohabiteront
toujours l'esprit communautaire d'une part, et le business
d'autre part, ceci pour la simple raison que la disparition
du second induirait instantanément celle du premier
: qui financerait alors l'hébergement des sites,
les outils pour les développer, les accès
à Internet, les frais d'infrastructure en général,
etc. ? De même, si le Net ne comportait pas cet aspect
communautaire, il susciterait sans doute de nombreuses déceptions
et une désertion massive.
Il n'est pas non plus question de dire que tout va devenir
payant demain sur le Net. Mais à une heure où
les ressources publicitaires montrent leurs limites et s'avèrent
très insuffisantes, il est clair que, par un moyen
ou un autre, il va falloir trouver les fonds nécessaires
pour que cette gigantesque toile, si riche en informations
et en services pratiques, ne se désintègre
pas.
Le moteur Google
semble fermement décidé à rester gratuit
pour l'internaute et, qui plus est, exempt de publicités
(ce qui, dans la réalité des choses, n'est
qu'à moitié vrai en raison de la présence
de " sponsored links " dans les pages de résultats
de recherches). Mais Google tire ses revenus de la vente
de son savoir-faire et de sa richesse d'indexation à
de grands portails tels Yahoo
ou Netscape.
Autre exemple : Free.
Comme son nom l'indique, ce fournisseur d'accès vous
permet de vous abonner gratuitement à Internet. Seuls
restent à votre charge les coûts de connexion,
facturés directement sur votre facture téléphonique
bimestrielle. Le principe est simple : Free a signé
des accords avec un opérateur téléphonique
qui lui reverse une partie des connexions que vous avez
consommées. Les revenus ainsi générés
sont sans doute élevés sur le volume global
(à ce jour plus de 1.600.000 abonnés), mais
ce succès implique aussi de lourdes infrastructures
techniques, surtout si l'on tient compte du fait que chaque
abonné dispose d'un espace web de 100 Mo pour héberger
son site. Les échecs, dans le domaine de l'accès
gratuit-gratuit, d'Oreka
ou de LibertySurf,
démontrent à quel point les réussites
en termes de " rentabilité indirecte "
sont rares. Surtout lorsque, faute de moyens, l'environnement
technique ne suit pas, et que la qualité de service
s'en ressent de façon dramatique, provoquant un départ
massif des abonnés.
Il ressort de tout ceci que, dans la crise économique
que traversent actuellement les acteurs les plus ambitieux
du Net, seuls les plus fortunés risquent de survivre
si une prise de conscience collective, dans la communauté
des internautes, ne surgit pas. Et qui voudrait réellement
d'un Internet contrôlé en tout et pour tout
par une demi-douzaine de
multinationales ?
Cela signifie que, dans un futur sans doute très
proche, de nombreux acteurs du Net vont passer à
un modèle payant, une fois acquise une certaine notoriété.
Yahoo.com
(édition US) tente d'ores et déjà de
compenser la chute de ses revenus publicitaires par un référencement
payant avec délai d'intégration garanti.
A contrario, eBay
a choisi dès ses débuts un modèle payant
(en 1996 c'était pour le moins " gonflé
"), avec le succès fulgurant et immédiat
qu'on lui connaît. Son homologue français iBazar
(racheté depuis par son modèle) a lui aussi,
assez rapidement, choisi de faire payer ses services, et
son succès ne cesse de croître. Aucland, lui,
a tenté le plus longtemps possible de " tenir
" sur un modèle gratuit, mais ce fut en vain,
car cette gratuité n'a (quasiment) pas augmenté
sa notoriété, ni sa communauté d'acheteurs
et de vendeurs. Et pourtant, le groupe iBazar disposait
de moyens financiers énormes qui auraient pu permettre
à son site d'enchères de rester gratuit pendant
longtemps, tandis qu'Aucland
était à ses tout débuts une initiative
indépendante aux moyens financiers assez limités.
Il est permis de penser que dans des domaines fortement
concurrentiels, une gratuité mesurée et savamment
pensée restera un atout majeur. Comprendre par là
qu'à qualité de service strictement identique,
l'internaute donnera très certainement, sauf rares
exceptions, sa préférence au site qui lui
offrira gratuitement ce que d'autres voudront lui faire
payer.
Mais il est tout aussi logique de prévoir qu'à
court terme, le lecteur d'un site d'informations paiera
son journal virtuel tout comme il paie son journal version
papier chez son marchand de journaux. Qu'également,
passée la phase de répression anti-Napster
et consorts, l'internaute achètera sa musique à
la carte sur le Net, avec pour immense avantage celui de
ne pas devoir payer un album entier si seulement deux ou
trois morceaux l'intéressent.
Et enfin, en anticipant quelque peu (mais sans doute à
moins long terme qu'on ne le pense), il est à parier
que demain nous ne serons plus " internautes ",
tant les nouvelles technologies seront intégrées
à notre quotidien. Le " digital lifestyle "
évoqué par Steve Jobs (Apple)
est tout proche, et demain nous achèterons dans le
virtuel ce que nous achetons aujourd'hui dans le " monde
réel ".
Jean
Lançon
http://www.jeanlancon.com
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