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 Le gratuit, c'est (presque) fini
Dossier de la semaine du 30/04 au 06/05 par Jean Lançon

'est en grande partie pour sa gratuité omniprésente que le web a suscité l'engouement que l'on a observé jusqu'à présent. Pourtant, cet argument imparable, petit à petit, tend à disparaître au profit du sempiternel modèle payant, remettant en cause, non seulement la notion de " nouvelle économie ", mais aussi celle d'un espace virtuel " qui appartient à tous et où (presque) rien ne se paie "…

A moins d'être un espace purement passionné et à la charité bien ordonnée, un site web ne peut, sur le long terme, survivre que grâce au nerf de toutes les guerres : l'argent. L'existence d'un site, mais aussi sa promotion, sa maintenance, ses mises à jour, ses évolutions, nécessitent des moyens qui ne sont pas qu'intellectuels, mais qui font bel et bien appel à des ressources financières souvent conséquentes. A titre d'exemple, les quelques propriétaires de sites perso qui relayaient l'actualité ont très vite dû réviser leur position, constatant le réel travail qu'un tel projet impliquait.

Qu'on ne se méprenne pas : sur le Net cohabiteront toujours l'esprit communautaire d'une part, et le business d'autre part, ceci pour la simple raison que la disparition du second induirait instantanément celle du premier : qui financerait alors l'hébergement des sites, les outils pour les développer, les accès à Internet, les frais d'infrastructure en général, etc. ? De même, si le Net ne comportait pas cet aspect communautaire, il susciterait sans doute de nombreuses déceptions et une désertion massive.

Il n'est pas non plus question de dire que tout va devenir payant demain sur le Net. Mais à une heure où les ressources publicitaires montrent leurs limites et s'avèrent très insuffisantes, il est clair que, par un moyen ou un autre, il va falloir trouver les fonds nécessaires pour que cette gigantesque toile, si riche en informations et en services pratiques, ne se désintègre pas.

Le moteur Google semble fermement décidé à rester gratuit pour l'internaute et, qui plus est, exempt de publicités (ce qui, dans la réalité des choses, n'est qu'à moitié vrai en raison de la présence de " sponsored links " dans les pages de résultats de recherches). Mais Google tire ses revenus de la vente de son savoir-faire et de sa richesse d'indexation à de grands portails tels Yahoo ou Netscape.

Autre exemple : Free. Comme son nom l'indique, ce fournisseur d'accès vous permet de vous abonner gratuitement à Internet. Seuls restent à votre charge les coûts de connexion, facturés directement sur votre facture téléphonique bimestrielle. Le principe est simple : Free a signé des accords avec un opérateur téléphonique qui lui reverse une partie des connexions que vous avez consommées. Les revenus ainsi générés sont sans doute élevés sur le volume global (à ce jour plus de 1.600.000 abonnés), mais ce succès implique aussi de lourdes infrastructures techniques, surtout si l'on tient compte du fait que chaque abonné dispose d'un espace web de 100 Mo pour héberger son site. Les échecs, dans le domaine de l'accès gratuit-gratuit, d'Oreka ou de LibertySurf, démontrent à quel point les réussites en termes de " rentabilité indirecte " sont rares. Surtout lorsque, faute de moyens, l'environnement technique ne suit pas, et que la qualité de service s'en ressent de façon dramatique, provoquant un départ massif des abonnés.

Il ressort de tout ceci que, dans la crise économique que traversent actuellement les acteurs les plus ambitieux du Net, seuls les plus fortunés risquent de survivre si une prise de conscience collective, dans la communauté des internautes, ne surgit pas. Et qui voudrait réellement d'un Internet contrôlé en tout et pour tout par une demi-douzaine de
multinationales ?

Cela signifie que, dans un futur sans doute très proche, de nombreux acteurs du Net vont passer à un modèle payant, une fois acquise une certaine notoriété. Yahoo.com (édition US) tente d'ores et déjà de compenser la chute de ses revenus publicitaires par un référencement payant avec délai d'intégration garanti.

A contrario, eBay a choisi dès ses débuts un modèle payant (en 1996 c'était pour le moins " gonflé "), avec le succès fulgurant et immédiat qu'on lui connaît. Son homologue français iBazar (racheté depuis par son modèle) a lui aussi, assez rapidement, choisi de faire payer ses services, et son succès ne cesse de croître. Aucland, lui, a tenté le plus longtemps possible de " tenir " sur un modèle gratuit, mais ce fut en vain, car cette gratuité n'a (quasiment) pas augmenté sa notoriété, ni sa communauté d'acheteurs et de vendeurs. Et pourtant, le groupe iBazar disposait de moyens financiers énormes qui auraient pu permettre à son site d'enchères de rester gratuit pendant longtemps, tandis qu'Aucland était à ses tout débuts une initiative indépendante aux moyens financiers assez limités.

Il est permis de penser que dans des domaines fortement concurrentiels, une gratuité mesurée et savamment pensée restera un atout majeur. Comprendre par là qu'à qualité de service strictement identique, l'internaute donnera très certainement, sauf rares exceptions, sa préférence au site qui lui offrira gratuitement ce que d'autres voudront lui faire payer.

Mais il est tout aussi logique de prévoir qu'à court terme, le lecteur d'un site d'informations paiera son journal virtuel tout comme il paie son journal version papier chez son marchand de journaux. Qu'également, passée la phase de répression anti-Napster et consorts, l'internaute achètera sa musique à la carte sur le Net, avec pour immense avantage celui de ne pas devoir payer un album entier si seulement deux ou trois morceaux l'intéressent.

Et enfin, en anticipant quelque peu (mais sans doute à moins long terme qu'on ne le pense), il est à parier que demain nous ne serons plus " internautes ", tant les nouvelles technologies seront intégrées à notre quotidien. Le " digital lifestyle " évoqué par Steve Jobs (Apple) est tout proche, et demain nous achèterons dans le virtuel ce que nous achetons aujourd'hui dans le " monde réel ".

Jean Lançon
http://www.jeanlancon.com

 

 
 
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