a
surveillance des salariés par les employeurs est une vieille marotte qui
alimente de façon régulière les contentieux devant les conseil
de prud'hommes et autres chambres sociales. Contrairement à beaucoup d'idées
reçues, il n'existe pas d'interdiction absolue ou à l'inverse de
droit absolu dans ce domaine. L'article 9 du code civil pose le principe selon
lequel " Chacun a droit au respect de sa vie privée ", l'application
de ce principe n'étant pas diminuée par le lieu où s'exerce
cette vie privée. Le salarié bénéficie de la protection
de l'article 9. Toutefois l'employeur, qui est le cocontractant du salarié,
doit pouvoir contrôler la bonne exécution du travail confié.
De ce conflit d'intérêt naît l'obligation de définir
précisément ce qui relève de la vie privée et ce qui
est contrôlable par l'employeur.
La
vie privée est constituée d'un ensemble de faits et relations qui
contribuent à définir la personnalité des individus. On recensera
notamment la vie sentimentale, la maternité, l'état de santé,
les pratiques et convictions religieuses, l'état civil, le domicile, etc.
Ces domaines ne doivent pas faire l'objet d'une interception, a fortiori d'un
contrôle, par un tiers non autorisé.
Il
se dégage donc deux notions : le contenu du message et l'autorisation d'accès
au message. La jurisprudence s'est déjà prononcée sur les
nombreux supports de contrôle tels que les bandes vidéo, les bandes
son ou encore l'emploi de détectives privés. Qu'en est-il pour les
e-mail ? Il se trouve à la croisée des chemins puisqu'il constitue
selon certains auteurs (Maître Gérard HAAS " Peut-on utiliser
le courrier électronique en tant que logique commerciale " dans les
fiches pratiques de Juriscom http://www.juriscom.net ) un courrier et qu'à
ce titre il doit bénéficier de la protection de la loi nº91-646
du 10 Juillet 1991 sur le secret des correspondances par voie de télécommunication.
Il semble que ce parti pris soit confirmé par la jurisprudence qui considère
que des messages transmis dans le cadre d'un service télématique
ont un caractère privé (TGI Nice 5ème Chambre 28 Novembre
1991 nº5506/91). L'employeur lisant les messages électroniques intercepterait
ni plus ni moins les courriers personnels de ses employés. Il se placerait
alors dans une situation délicate au regard des dispositions légales
du secret de la correspondance. Cette rapide conclusion n'est pas exacte et mérite
d'être précisée puisqu'elle aboutirait tout simplement à
priver l'employeur de son droit de contrôle. L'article 9 du code civil et
la loi du 10 juillet 1991 sur le secret de la correspondance ne s'applique qu'aux
messages ayant un caractère privé et secret. L'e-mail envoyé
et/ou reçu sur le lieu de travail est-il privé et secret ? S'il
est privé mais que le destinataire le rend public, le droit de contrôle
pourra s'exercer sans difficulté. On ne pourra reprocher à l'employeur
d'utiliser un message, fut-il personnel, rendu public par l'intéressé
pour vérifier le bon accomplissement du contrat de travail et le cas échéant
prendre des sanctions.
La
difficulté surgit lorsque le message reste confidentiel et secret. Compte
tenu de la technique de stockage (sur disque dur, en réseau, sur serveur
dédié) du mail, peut-il être par destination un message secret
? Il semble que cette caractéristique soit le produit de la volonté
de l'auteur du mail. Le courrier électronique est présumé
être message secret et privé. Selon le conseil d'Etat, il semble
qu'il perde ces caractères dès lors qu'il fait l'objet d'une absence
de personnalisation et qu'il est diffusé en grand nombre. Le Conseil d'Etat
assimile ce type d'envoi à de la publicité. On peut en déduire
que l'employeur peut intercepter et lire ce genre de message électronique
sans pour autant risquer de voir son salarié lui intenter un procès
pour violation de la correspondance. Toutefois, en pratique cette situation ne
se présentera pas facilement. Comment savoir à l'avance ce qu'il
y aura dans le courrier avant de l'avoir ouvert ? Le risque de détourner
une correspondance vraiment privée n'est pas nul avec les conséquences
judiciaires que l'on connaît.
Le
code du travail et la jurisprudence propose plusieurs solutions pour faire cohabiter
le contrôle de l'employeur et le respect de la vie privée du salarié.
Le code du travail tout d'abord précise en son article 121-8 " qu'aucune
information concernant personnellement un salarié ou un candidat à
l'emploi ne peut être collectée par un dispositif qui n'a pas été
porté préalablement à la connaissance du salarié ou
du candidat à un emploi. " Par un raisonnement a contrario, on peut
en déduire la volonté du législateur de permettre, moyennant
certaines précautions, à l'employeur de collecter des informations
personnelles sur le salarié. La chambre sociale de la Cour de cassation
a affirmé ce principe (Cass. Soc. 22 Mai 1995 in Valérie SEDALLIAN
" L'utilisation d'Internet dans l'entreprise " http://www.62.161.196.163/lij/euroforum.html
) en considérant que " ...si l'employeur a le droit de contrôler
et surveiller l'activité de son personnel durant le temps de travail, il
ne peut mettre en uvre un dispositif de contrôle qui n'a pas été
porté préalablement à la connaissance des salariés
". L'employeur peut donc surveiller son salarié à condition
de l'avoir au préalable averti.
Dans
le cas où l'entreprise dispose d'organe(s) représentatif(s) du personnel,
il conviendra également d'employer ce canal afin d'être assuré
de la parfaite information des salariés (pour le comité d'entreprise,
l'article 432-2-1 du code du travail rend son information obligatoire). Il ne
faut pas en déduire pour autant que le seul respect de l'information préalable
du salarié autorise l'employeur à recourir à tous les moyens.
Le conflit demeure toujours entre le pouvoir de contrôle et le respect du
secret de la correspondance. La Chambre criminelle de la cour de cassation a déjà
considéré que le secret de la correspondance ne s'appliquait pas
aux courriers professionnels (Cass.crim. 16 Janvier 1992 V.SEDALLIAN déjà
cité). D'autres décisions ont été rendues concernant
les communications téléphoniques en application de l'article 226-1
du code pénal. Néanmoins, l'application de cet article ne semble
pas possible dans le domaine de l'e-mail puisqu'il vise la parole. Seul demeure
le principe général du secret de la correspondance et du droit au
respect de la vie privée.
Il ne semble pas que la jurisprudence se soit prononcée sur l'e-mail et
son contrôle par l'employeur dans le cadre du travail et le débat
est encore théorique. Néanmoins, il convient de rappeler certaines
évidences. Le courrier électronique est stocké sur un disque
dur et peut toujours être consulté à l'insu de celui qui l'a
reçu. En outre, le salarié utilise le matériel de l'employeur
(informatique et abonnement à une messagerie) et on peut raisonnablement
considérer que le salarié ne doit pas utiliser ce matériel
à des fins personnelles. Partant de ce parti pris raisonnable, l'employeur
qui aura préalablement informé ses salariés des conditions
d'utilisation du matériel et de son intention de contrôler le contenu
des mails limitera les risques de contentieux liés aux problèmes
de respect de la vie privée évoqués plus haut. Il y a là
un partage des responsabilités juridiques entre le salarié et l'employeur
qu'il faut souhaiter. L'employeur qui n'aura pas pris le soins de se plier au
respect de ces principes pourra se voir opposer par les magistrats saisis la non
validité du document qu'il aura surpris lors de sa surveillance. Ce risque
est déjà certain en ce qui concerne les enregistrements vidéo
réalisés à l'insu des salariés (voir Cass. Soc. 20
Novembre 1991 in Valérie SEDALLIAN déjà cité). Enfin,
il faut rappeler à l'employeur qu'en cas de contrôle par utilisation
de fichiers, il doit demander préalablement l'autorisation à la
Commission Nationale Informatique et Liberté (CNIL) et là aussi
informer les personnes figurant dans le fichier de leur droit à l'accès
et à la rectification des informations les concernant.
En
conclusion, le mail dans l'entreprise n'a pas encore fait parler de lui devant
les juridictions civiles ou pénales. Le droit de contrôle de l'employeur
sur les mails de ses salariés reste pour l'heure assis sur un compromis
entre la vie privée du salarié et les prérogatives de l'employeur.
Le devoir de loyauté l'un envers l'autre doit permettre de limiter, voire
de rendre impossible, toute controverse sur le contenu des messages électroniques.
S'il veut éviter toute atteinte à sa vie privée, le salarié
veillera à conserver un caractère strictement professionnel à
ses e-mail tandis que l'employeur prendra toutes les dispositions pour que son
personnel soit préalablement informé de la surveillance et du contrôle
possible du contenu des messageries électroniques. En attendant que la
jurisprudence se détermine plus précisément sur la question
lorsque le salarié ou l'employeur aura franchi la ligne rouge.
Jean-Claude
Pantin
Juritel.com
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